Qu’est-ce que la Tête de Moine ?

Qu'est-ce que la Tête de Moine ?

La Tête de Moine est un fromage à pâte mi-dure au lait cru de vache originaire du Jura bernois, en Suisse. Elle doit son nom à son invention et à sa fabrication par des moines, mais aussi à la manière caractéristique dont le fromage est débité et à l’aspect qui en résulte sur la face supérieure du fromage. Celle-ci rappelle la tonsure des moines, c’est-à-dire la coiffure typique où une grande partie du crâne est rasée de près et où il ne reste qu’une couronne de cheveux entourant le crâne. La pâte du fromage ressemble au cuir chevelu dégarni des moines, tandis que la croûte plus foncée rappelle les cheveux restants.

Histoire

La Tête de Moine fut inventée au XIIe siècle à l’abbaye de Bellelay, un monastère de l’ordre des Prémontrés situé dans la localité de Bellelay, dans le Jura bernois. La fabrication de fromage à l’abbaye est mentionnée pour la première fois par écrit en 1192. La Tête de Moine fut longtemps utilisée comme monnaie d’échange par les moines, si bien qu’elle fut largement diffusée et appréciée dans la région.

Le terme « fromage de Bellelay » est mentionné pour la première fois dans une lettre datée du 16 août 1570. L’abbé de l’abbaye de Bellelay de l’époque y écrit au prince-évêque de Bâle qu’il lui fait livrer du « Dryssig Bellelay Kess ». Il semble toutefois peu probable que le fromage mentionné dans cette lettre ait un rapport avec la Tête de Moine actuelle. Les connaissances et les conditions nécessaires à la fabrication de fromage à pâte dure emprésuré ne sont apparues en Suisse qu’à partir du XVe siècle. Il est plus probable que la Tête de Moine se soit développée au cours des XVIe et XVIIe siècles. C’est à cette époque, dans le cadre de l’introduction et de la diffusion du Gruyère, qu’ont eu lieu certaines évolutions techniques qui ont considérablement bouleversé la fabrication du fromage. La plus ancienne description du fromage de Bellelay, tel que nous le connaissons aujourd’hui sous le nom de Tête de Moine, date de 1628.

Au cours de la Révolution française, l’armée révolutionnaire française annexa des territoires essentiels des actuels cantons suisses de Berne, du Jura et de Bâle-Campagne. Ce territoire fut intégré à la Première République française en tant que département du Mont-Terrible. C’est de cette époque que date un document appelé « Tableaux du maximum des objets de première nécessité » datant de 1793-1794 du département du Mont-Terrible. C’est dans ce document que le nom de Tête de Moine est mentionné pour la première fois.

En 1797, les troupes françaises occupèrent les bâtiments de l’abbaye de Bellelay et le monastère fut sécularisé. Les moines en furent chassés et les équipements de la fromagerie furent soit détruits, soit vendus. La production de fromage à l’abbaye cessa donc. La fabrication de fromage continua toutefois dans les fermes appartenant à l’abbaye. Cependant, comme les fermiers ne pratiquaient la fromagerie qu’à titre accessoire et que le fromage était en grande partie fabriqué par les femmes pour leur propre consommation, la Tête de Moine perdit son prestige d’antan pendant quelques décennies.

Au milieu du XIXe siècle, A. Hofstetter, un paysan de Bellelay, présenta le fromage à différentes expositions et remporta plusieurs prix. Ce succès incita d’autres fermiers à produire eux aussi davantage de Tête de Moine. Par la suite, la Tête de Moine reçut diverses distinctions lors du « Concours Universel » de Paris en 1856 et lors d’autres foires. À la fin du siècle, plusieurs fromageries de village furent créées pour produire le fromage. La production ne cessa d’augmenter, la fabrication étant peu à peu confiée à de plus grandes usines. En 1950, la production annuelle s’élevait à environ 27 tonnes.

En 1981, Nicolas Crévoisier, originaire de Lajoux dans le canton du Jura, inventa la « Girolle® ». Cet outil est aujourd’hui devenu l’instrument de découpe par excellence de la Tête de Moine. La Girolle se compose d’un épais plateau rond en bois sur lequel est fixé verticalement un axe. Sur celui-ci se trouve une manivelle avec une lame à son extrémité inférieure.

Depuis 2001, la dénomination « Tête de Moine, Fromage de Bellelay » est enregistrée comme Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). En 2011, les produits AOC suisses, y compris la Tête de Moine, sont devenus des produits AOP (Appellation d’Origine Protégée). Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’une harmonisation avec l’Union Européenne. Il existe actuellement moins de 10 fromageries de village dans la région d’origine qui produisent la Tête de Moine selon les exigences strictes du cahier des charges de l’AOP.

Fabrication

Pour fabriquer la Tête de Moine, le lait cru de vache est chauffé à 38 °C dans des cuves en cuivre. On y ajoute ensuite des bactéries lactiques et on emprésure le lait pendant environ 30 minutes. Le caillé coagulé est découpé en grains à l’aide d’un tranche-caillé. Ceux-ci sont chauffés à une température de 46 à 53 °C afin d’extraire le liquide des grains. Le caillé est ensuite versé dans des moules ronds, puis pressé et retourné jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de petit-lait. Le fromage reçoit alors une marque de caséine portant au moins le numéro d’agrément de la fromagerie et la date de fabrication. Le fromage est ensuite immergé dans un bain d’eau salée pendant au moins 12 heures.

La Tête de Moine est ensuite entreposée pendant au moins 75 jours sur des planches en bois d’épicéa dans des caves présentant un taux d’humidité de l’air d’environ 90 % et une température d’environ 13-14 °C. Pendant cette période, le fromage est régulièrement brossé avec un mélange d’eau salée et de ferments du rouge (Brevibacterium linens). Cette opération favorise la formation de la croûte et un affinage de la surface vers l’intérieur.

Aspect et goût

La Tête de Moine se présente sous la forme d’une meule cylindrique d’un diamètre de 10 à 15 cm et d’une hauteur de 7 à 15 cm. Elle présente une pâte homogène, collante, souple et très fine, de couleur ivoire à jaune. Sa croûte naturelle est de couleur jaune foncé à ocre à brun rougeâtre et présente une structure ferme et nervurée. Le fromage est commercialisé sous forme de meule entière d’environ 700 à 900 g, ainsi que sous forme de demi-meule. Il a un goût corsé et épicé avec des arômes floraux. Il révèle également des notes de foin et de champignons.

Utilisations culinaires

La plupart du temps, le fromage n’est pas coupé en tranches épaisses comme les autres fromages, mais rabotées, plus raclées que coupées, en lamelles très fines appelées « rosettes ». Pour cela, il existe depuis 1981 un outil spécial, la Girolle. La Girolle se compose d’un épais plateau en bois rond sur lequel est fixé un axe vertical. Sur celui-ci se trouve une manivelle avec une lame à son extrémité inférieure.

La croûte supérieure de la Tête de Moine est d’abord coupée, puis le fromage est positionné au centre de l’axe vertical, directement à la sortie du réfrigérateur. La manivelle fixée sur l’axe est ensuite actionnée en cercle, ce qui permet à la lame de racler de très fines rosettes de fromage. Les rosettes ultrafines fondent presque dans la bouche. Avant d’être consommées, il est conseillé de les laisser reposer quelques minutes à température ambiante.

Pourquoi la Tête de Moine porte-t-elle ce nom ?

Selon la légende, le fromage aurait reçu son nom de Tête de Moine en 1797 par des soldats de la Révolution française qui auraient trouvé des meules de fromage dans la cave de l’abbaye de Bellelay après en avoir chassé les moines. Les soldats auraient adopté la méthode traditionnelle consistant à gratter de fines lamelles sur la surface supérieure du fromage. Comme le fromage leur aurait ensuite rappelé la tonsure des moines, ils lui auraient donné le nom de « Tête de Moine ». Mais comme la première mention écrite du fromage sous le nom de « Tête de Moine » date des années 1793-1794, soit 3 à 4 ans avant l’occupation de l’abbaye de Bellelay par les troupes révolutionnaires françaises, cette théorie est plutôt improbable.

Une deuxième théorie sur l’origine du nom se réfère au stockage du fromage dans les caves de l’abbaye. Selon cette théorie, l’abbaye stockait une certaine quantité de fromage par moine ou par « tête de moine ». Le reste servait de monnaie d’échange et de cadeaux aux chefs ecclésiastiques et séculiers.

Selon la légende, ce sont également les moines qui auraient inventé la méthode particulière et unique au monde de couper ou plutôt de racler le fromage en rosettes ultrafines. On raconte que la nuit, les moines avaient l’habitude de se faufiler dans la cuisine pour y déguster le délicieux fromage. Pour que leurs larcins culinaires nocturnes passent le plus possible inaperçus, ils ne raclaient que de très fines lamelles de fromage à l’aide d’un couteau bien aiguisé.

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